Carla
À la découverte de La Chablisienne avec Damien, le directeur général.
Pour notre deuxième épisode du podcast “Raisin d’être”, nous avons reçu Damien Leclerc, directeur général de La Chablisienne.
Raisin d’être c’est le podcast qui met en lumière les gens qui font le monde du vin aujourd’hui, qui en parlent sans prétention mais avec beaucoup de passion. Dans ce deuxième article au sujet de l’épisode numéro 2, on part à la découverte de la Chablisienne, cave coopérative de Chablis.
Pour écouter, ou visionner notre podcast, c’est par ici. Pour lire le précédent article sur le portrait de Damien, c’est par ici.
Tu arrives rapidement à la Chablisienne. Comment ça s'est fait ? C'est eux qui sont venus te chercher ?
Oui, en fait à l'époque, mon prédécesseur arrivait à un âge où il envisageait de prendre de très grandes vacances et donc il cherchait un successeur. Et effectivement, j'ai été approché et sollicité. Alors au départ, j'étais quand même un petit peu intimidé parce que mon prédécesseur était vraiment un leader charismatique. Et quand on parlait de lui en Bourgogne, c'était quand même un grand bonhomme. C'est vrai que moi, j'avais du mal, à 35 ans à me projeter et à imaginer que potentiellement, je puisse prendre sa succession.
Mais voilà, ça s'est fait finalement assez simplement et c'était un retour aux sources dans ce beau département de l’Yonne, dans ce magnifique territoire du Chablisien. Avec une petite particularité, c'est que j'ai eu l'immense privilège d'arriver à la Chablisienne le 1er juillet 2008, quelques semaines avant le début d'une toute petite crise financière. Et je dois dire que ça, ça permet de tester ses réflexes et son expérience précédente, mais ça n'a pas été de tout repos.
Pour le coup à l'époque, nous étions très dépendants du marché britannique et ça a été vraiment une période très rude puisque notre importateur au Royaume-Uni, a eu la géniale idée de travailler avec une banque islandaise qui s'appelait la Landsbanki. C'est la première banque qui est tombée au moment de la crise financière.
Tout était parfait, vraiment un bizutage exceptionnel qui a duré une bonne année. Mais en même temps, voilà ça permet aussi de continuer l'apprentissage et puis de tester un peu les automatismes ou les réflexes que j'avais pu acquérir précédemment. Aujourd'hui, j'en parle en plaisantant, mais c'est vrai qu'à l'époque, ce n'était pas si évident que ça.
Ta connaissance du fonctionnement des marchés via ta première expérience pro t’as aidé un peu peut être ?
Oui, certes La Chablisienne est une coopérative, mais en fait, dans son fonctionnement depuis 1947, elle fonctionne comme une maison de vins. Donc, de ce point de vue là, si ce n'est les relations avec le conseil d'administration et les vignerons sur le fonctionnement interne je dirais que je me suis retrouvé sur des schémas et une dimension à peu près équivalente à ce que j'avais pu connaître précédemment.
Et puis, effectivement, oui, la connaissance des marchés et la connaissance des enjeux, la connaissance des interlocuteurs sont des éléments facilitateurs, c'est indéniable. Et puis finalement, le retour aux sources, c'était plutôt bien perçu et apprécié aussi. Donc, de ce point de vue là, l'accueil a été chaleureux et les gens étaient contents de me voir revenir et de voir quelque part un gamin du pays revenir à la tête de la Chablisienne.
Bon et du coup parle nous un petit peu de La Chablisienne !
Je dirais qu'elle a beaucoup évolué puisque, comme tu le sais, nous nous préparons à célébrer les 100 ans de cette grande dame puisque elle a été créée le 1er mai 1923 et nous allons nous retrouver le 13 mai 2023 pour faire une petite fête avec nos vignerons salariés et amis, on devrait être 500 je crois.
Mais c'est quand même une histoire absolument étonnante qui se poursuit et j'espère qu'elle va se poursuivre encore longtemps puisque chaque génération apporte sa pierre à l'édifice et je le disais tout à l'heure effectivement, 15 ans déjà à la tête de la Chablisienne et ça, c'est un élément majeur.
En fait, les dirigeants qui se sont succédés se sont toujours impliqués durablement. Et c'est vrai que dans nos métiers, nous sommes sur des métiers à cycle long. On ne récolte, on vinifie qu'une fois par an et finalement quinze ans, c'est beaucoup, mais ce ne sont que 15 millésimes.

Et puis La Chablisienne, sa grande particularité, c'est qu'en fait, en 1923, quand elle a été créée principalement par des femmes d'ailleurs, c'est pour ça aussi qu'elle s'appelle la Chablisienne. Eh bien, la promesse n'était pas une promesse de produire ensemble, comme cela a été le cas dans beaucoup de coopératives, mais plutôt de se regrouper pour commercialiser ensemble. Donc l'ADN de la Chablisienne au départ c'est un projet commercial et marketing et c'est ce qui fait que dès 1926, on a une affiche Lutétia absolument extraordinaire, qui existe toujours aujourd'hui et qui est totalement indémodable d'ailleurs, c'est assez étonnant.
Et puis on a fait le chemin inverse. Voilà c’est à dire qu’en fait c'est seulement à partir de 1947 que les vignerons ont décidé de mutualiser des outils techniques. Et un autre élément qui est très fort, c'est que souvent, dans pas mal de territoires, la coopération elle est quand même encore un peu politisée ou très syndicale dans son approche. Alors je ne dis pas que ça n'a pas été le cas puisque ça a bien été le cas entre 1923 et 1947. Il existe deux structures coopératives à Chablis, donc La Chablisienne, créée par un prêtre, et la Cave de Chablis, créée par quelqu'un qu'on pourrait identifier comme étant un leader politique plutôt d'extrême gauche à l'époque.
Et donc le combat idéologique, il existe en fait entre 1923 et 1947 et comme on le sait, le combat idéologique amène souvent à de belles réussites. La preuve, c'est qu'en 1947, les deux sont quasiment en faillite et le Crédit Agricole siffle la fin de la plaisanterie en exigeant la fusion. Voilà et donc en 47, les deux entités fusionnent et on devient la Chablisienne, cave coopérative de Chablis à ce moment là.
Et le premier directeur général est embauché. Et à partir de ce moment là, on ne fait qu'une seule chose à la Chablisienne : de l'économie, de l'économie, de l'économie et de l'économie. Si quelqu'un a des ambitions politiques, pas de problème. Mais bon, il ne sera pas au conseil d'administration de La Chablisienne. Donc c'est plutôt pas mal en fait. Parce que ça explique aussi, à mon sens les progrès, l'évolution et le fait qu'aujourd'hui, je le dis assez souvent, nous sommes avant tout une belle maison de vin sous statut coopératif.
Et puis après la Chablisienne, c'est aussi une marque. Et finalement, cette marque, elle a quand même été créée en 1923.
Est ce qu'il y a une partie qui est en propriété à La Chablisienne et une autre partie qui est aux coopérateurs ? Comment ça fonctionne aujourd'hui ?
Alors effectivement, j'ai une petite photographie à date. La Chablisienne aujourd'hui regroupe 200 vignerons. Donc en fait, ce qu'il faut bien comprendre par rapport au fonctionnement coopératif, c'est que ces 200 vignerons sont les copropriétaires de La Chablisienne. C'est bien l'image qu'il faut avoir. Et donc chaque année, nous collectons et nous vinifions l'équivalent de 1200 hectares de vignes et 1200 hectares de vignes, quand la nature est un peu généreuse et que les aléas climatiques ne nous perturbent pas trop, ça représente quand même entre 8 et 9 millions de bouteilles, donc à vinifier puis à commercialiser.
Voilà, et donc l'équipe de salariés n'est pas très importante que, en fait, nous ne sommes que 76 salariés permanents à l'année pour mettre en marché ces 8 millions de bouteilles avec, en 2022, 54 millions d'euros de chiffre d'affaires, dont 60 % à l'export et à destination de 92 pays. Donc notre premier marché à l'international en fait. Et ça, c'est une merveilleuse richesse d'avoir la chance de travailler avec le monde entier et de rayonner dans le monde entier.
Et puis, l'autre particularité, c'est qu'effectivement, nous sommes propriétaires de deux domaines viticoles. Le premier, à Chablis, c'est le domaine de Château Grenouille, donc 7,40 hectares de Chablis grand cru. Ce domaine, nous l'exploitant directement avec nos salariés. Et puis un autre domaine en Côte d'Or, dans les hautes côtes de nuit, au dessus de Nuits-Saint-Georges. C'est un peu le hasard qui a fait ça. Mais en fait, c'est une très belle structure avec 70 hectares de vignes à Villars la Faye dans les hautes de Côte de Nuits.
Donc un peu de vin rouge parce que très majoritairement, nous sommes quand même blancs et cépage chardonnay. Et donc finalement, en termes de complément de gamme, c'est plutôt sympa.
Je suis assez curieux de savoir comment ça fonctionne une coopérative ? Comment est-ce que les vignerons peuvent intégrer ou sortir de ce genre de structure ?
Le principe, c'est l'adhésion. Donc tous les vignerons peuvent faire acte de candidature pour adhérer à la Chablisienne. Et dans ce cas là, c'est le conseil d'administration qui est souverain. Donc un conseil va étudier la demande ou la candidature. Et puis il a la possibilité d'accepter ou de refuser cette adhésion.
Nous avons pas mal évolué parce qu'en fait, au tout début, les durées d'adhésion étaient très longues, mais ça se comprenait puisqu'il y avait des investissements matériels très fort. Et donc clairement, il fallait pouvoir les financer durablement. Aujourd'hui, on est sur des contrats d'adhésion qui sont d'une durée de cinq ans et puis qui peuvent être dénoncés au terme de ces 5 ans ou renouvelés par tacite reconduction le cas échéant.
On a eu quelques soucis en 2016 avec quelques départs, mais là, on est plutôt bien reparti dans une belle dynamique. Et puis finalement, compte tenu de notre projet de montée en gamme, ceux qui sont restés, ceux qui sont là, savent pourquoi ils sont là. Et se positionnent bien dans ce projet qualitatif.
Et pour les vignes, est ce qu'ils ont un cahier des charges soumis par la Chablisienne ?
Effectivement, on a une commission technique qui va définir un cahier des charges. Il est définit depuis pas mal de temps mais en tout cas, elle va se réunir deux fois par an et potentiellement amender et faire évoluer le cahier des charges pour le faire progresser. Derrière cela, les vignes vont être auditées deux fois par an. On va également contrôler les méthodes culturales, contrôler les traitements, s'assurer que les règles sont respectées.
Nous sommes également dans une démarche de développement durable “Terra Vitis”. Quelques domaines sont également certifiés bio. Mais quelque part, cette notion de développement durable, c'est quelque chose qui était à la base de la création du cahier des charges, puisqu’en fait ça date de 1990 et nous étions l'une des premières coopératives à entrer dans la démarche Agri confiance qui était déjà un premier label en termes de développement durable.
Donc ça c'est pour la partie viticole. Après, au moment des vendanges, effectivement, c'est nous qui allons prendre la décision de partir en vendanges, sachant que, comme je l'ai dit précédemment, 1200 hectares, ça fait quand même un joli domaine. Donc il y a un petit peu de logistique et d'organisation. Mais on prend cette décision sur la base d’un suivi maturité qui va démarrer chaque année au 15 août à peu près, avec de nombreux prélèvements et de nombreuses analyses.
Donc là, on est vraiment dans quelque chose de très scientifique, de cartésien et sur la base de ces éléments, on va se projeter pour donner le top départ. Et puis, l'une des particularités aussi, c'est qu'à la Chablisienne, tu ne trouveras pas de pressoir. En fait, les pressoirs sont restés au sein des exploitations de nos vignerons. Donc nous à ce moment là, on va prendre des petits camions qui ressemblent beaucoup à des petits camions laitiers et donc on va aller chercher au sein de ces exploitations le jus de raisin.
Et nous, notre engagement, c'est effectivement de pouvoir retirer ces moûts le plus rapidement possible pour éviter l'oxydation prématurée. Mais je pense sincèrement que c'est un gage de qualité parce que ça veut dire qu'avec 200 vignerons, on a quand même 90 sites de pressurage. Et donc la matière première, la noble matière première, elle va être travaillée au plus près de l'exploitation et donc les délais de transport sont limités et le risque d'oxydation l'est aussi.
Et puis quand ces jus de raisin arrivent à la Chablisienne avant de décharger le camion, systématiquement, les jus vont être dégustés et analysés et notés et à partir de là, l’itinéraire technique va être adapté en fonction de la qualité. Et tout ça au bout du bout, ça va donner une note en fait aux apports collectés. Et puis la notation va impacter la rémunération des producteurs. Il y a quand même aussi un côté incitatif, même si de ce point de vue là, on va plutôt traiter des primes en positif et non pas des dégradations. Parce que sincèrement, nous ne sommes pas là pour jouer au gendarme. C'est pas notre boulot.
Nous sommes déjà dans des dans des activités hyper, hyper trop, beaucoup, énormément réglementées. C'est insupportable d'ailleurs. Donc on n'est pas là pour jouer au gendarme. Et donc l'idée c'est plutôt d'être dans une démarche d'accompagnement positive pour permettre aux uns et aux autres de progresser et de partager cette ambition qualitative.
C’en est tout pour le deuxième article sur la série de notre entretien avec Damien Leclerc, directeur général de La Chablisienne. Dans un prochain article, on parlera de la Chablisienne, de ses appellations et terroirs.
Si vous ne souhaitez pas attendre, retrouvez l’épisode complet c'est par ici.