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La Chablisienne face aux enjeux environnementaux et climatiques

Pour notre deuxième épisode du podcast “Raisin d’être”, nous avons reçu Damien Leclerc, directeur général de La Chablisienne.

Raisin d’être c’est le podcast qui met en lumière les gens qui font le monde du vin aujourd’hui, qui en parlent sans prétention mais avec beaucoup de passion. Dans ce 4ème article au sujet de l’épisode, on parle des enjeux environnementaux et climatiques auxquels fait face la Chablisienne.

Pour écouter, ou visionner notre podcast, c’est par ici. Pour lire le précédent article sur les appellations et terroirs de la Chablisienne, c’est par ici.

Quand on est un aussi gros acteur dans le monde du vin, il y a forcément des défis qui s'offrent à nous. Ce que j'ai adoré, c’est que j'ai vu en 2014 une vidéo où tu disais que les vins avaient déjà beaucoup changé en dix ans. Ça peut paraître un peu précurseur à l'époque. Est ce que tu peux nous en dire deux mots ?

Défi majeur pour la Chablisienne. Et puis, je pense défi majeur plus globalement pour l’avenir de la planète. Alors moi, je ne veux pas tomber dans du catastrophisme parce que malheureusement, sur les réseaux sociaux ou autres, on a quelques spécialistes qui nous annoncent tous les deux jours la fin du monde. Et je ne pense pas que ce soit en faisant peur et en terrorisant les gens que l'on va susciter les évolutions nécessaires.


Après, nous concernant, tu parlais de 2014. Malheureusement, depuis, les choses ne se sont pas nécessairement arrangées. Finalement, en 2019, 2020 et 2021, les aléas climatiques étaient présents et ont fait que les récoltes n'étaient pas complètes, en particulier en 2021. Ce qu'il faut bien comprendre dans nos métiers, c'est que le réchauffement climatique, il a un effet très pernicieux. Enfin, nous sommes plutôt ravis d'avoir des hivers qui sont des hivers doux.


Mais ce qu'il faut bien comprendre, c'est que du coup, la plante va se réveiller beaucoup plus tôt. Et effectivement, quand la plante se réveille début mars, les bourgeons vont sortir. Et assez régulièrement au mois d'avril, voire même début mai, nous pouvons être confrontés à des épisodes de gelées printanières classiques. Et donc, à ce moment là, quand les bourgeons sont sortis et qu’ils font entre cinq millimètres et un centimètre ou un centimètre et demi, ils sont particulièrement vulnérables. Et donc, à ce moment là, les gelées de printemps détruisent les bourgeons et dans ces bourgeons, on a les raisins qu'on était censés récolter quelques mois plus tard.


Podcast Raisin d'être avec Damien Leclerc

Paradoxalement, c'est clairement la douceur hivernale qui aujourd'hui nous déstabilise le plus. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que la vigne, c'est au départ une liane. Donc c'est très rustique, c'est très résistant et une fois qu'elle est bien implantée en terre, elle a quand même cette facilité à absorber les chocs thermiques. À condition bien sûr, de ne pas la stresser encore plus. Et puis, par rapport à cette vigne, effectivement, on peut imaginer une irrigation qualitative. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas.


Et c'est vrai que l'été, on a quand même assez souvent des pluies d'orage et parfois deux ou trois orages au bon moment suffisent pour permettre de faire une belle récolte. Par contre, dans le sud de la France, ça devient un vrai sujet. En Espagne, ça devient un énorme sujet. En Italie, ça devient un énorme sujet, dans les Pyrénées où il n'a pas plu depuis X temps, c'est très compliqué.


Donc nous, on était quand même sur la limite nord d'expression du vignoble. Petit à petit, on va peut être devenir la limite sud. Il faudra planter de la vigne dans la Somme, dans l'Oise, en Bretagne, en Normandie, aux Pays-Bas, en Belgique. Donc les choses évoluent et elles évoluent effectivement très rapidement. Ce qu'il faut bien voir, c'est qu'en quinze ans, on a gagné un mois sur les dates de vendanges. Pour nous à Chablis, ce qui était classique, c'était des vendanges fin septembre. Maintenant, ce qui devient courant, ce sont des vendanges fin août. Ça, c'est clair, net et précis. C'est très révélateur.


Et donc la question c'est comment on fait, quand on a toutes ces problématiques qui se présentent à nous ? Comment on fait pour anticiper même l'avenir, puisqu'on sait que de toute façon ça va continuer à se réchauffer ?

Alors en fait, je le décline à plusieurs niveaux. Déjà en termes de pilotage de la Chablisienne, de l'entreprise. Très clairement, il faut sortir du prisme de la croissance pour intégrer la notion de durabilité et de résilience. Ça veut dire que, typiquement, pendant trop longtemps, à mon avis, on a mis en marché des chablis très tôt, très vite, donc qu’aujourd'hui il faut avoir la sagesse de les élever un peu plus longtemps, de porter plus de stocks pour justement être en capacité d'absorber ces à-coups.


Typiquement, en 2022, la nature a été généreuse, la récolte a été belle. Ce serait facile de commercialiser tout de suite, très vite, dès 2022. Bah non le parti pris, c'est de dire on a encore des 2019, des 2020, des 2021. Donc prenons le temps de les sortir à maturité. Comprenons aussi que même si c'est un vin blanc, le chablis peut s'élever et avec le temps, il va se bonifier. Et donc ça veut dire effectivement avoir tout un raisonnement autour de la mise en marché, très différent de ce qu'on a pu connaître dans le passé.


Et puis pouvoir traiter les gros à-coups, donc être résilient, ça veut dire aussi gérer parfois en bon père de famille, avoir des fonds propres, ne pas être trop endetté. Du coup être en capacité de retrouver de la mobilité. Quand les à-coups arrivent, là typiquement, on a tout eu en même temps : on a eu le covid, la crise climatique de 2021, la guerre en Ukraine, des pénuries de matières premières. Donc en fait, avant, on a eu une succession de crises. Maintenant les crises, elles s'empilent.


Et puis après, sur les méthodes culturales, effectivement, il y a des actions à court terme, des actions à moyen terme, des actions à long terme. À court terme sur la technique de taille, on peut s'adapter : au lieu de tailler trop tôt, on va finir la taille le plus tard possible. Et en fait, quand on va tailler le tard possible, le débourrement, c'est à dire la sortie des bourgeons, va se faire un petit peu en décalé. On peut gagner une quinzaine de jours pour finalement passer cette période de début avril qui est souvent une période critique.


Et puis on a aussi des techniques de protection du vignoble au moment des gelées, donc des fils chauffants, des bougies, des éoliennes, de l’aspersion. Mais tout ça, c'est vraiment du curatif. On sait qu'on n'est pas du tout dans le préventif. Là, on est vraiment dans la réaction quand le problème se pose.


Pied de vigne

Et puis, le troisième élément, c'est plutôt à long terme. C'est potentiellement l'évolution du matériel végétal avec des variétés de cépages chardonnay qui pourraient être plus résistants à la sécheresse, qui pourraient aussi potentiellement avoir une période de dormance un peu plus longue. Mais ça, c'est quelque chose de beaucoup plus long et malheureusement, il m'a semblé comprendre qu'il y a quelques années, certaines personnes bien intentionnées avaient détruit un centre d'expérimentation de l'Inra, du côté de Colmar, où il y avait beaucoup de travaux qui avaient été faits sur ces cépages et je crois qu'on a perdu un petit peu de temps.


Après, il n'y a pas de solution miracle. Malheureusement, les impacts sont là, ils sont récurrents, les aléas sont de plus en plus forts, l'intensité et la fréquence également. On le sait maintenant, on a tous un rôle à jouer d'une part, et puis d'autre part, nourrir le monde, hydrater le monde, ça va devenir clairement un sujet stratégique majeur. Il va falloir surtout faire preuve de beaucoup de pragmatisme et non pas de dogmatisme comme on peut le voir un peu trop à mon sens sur ces sujets là.


Voilà, très objectivement, il y a des solutions, des alternatives, mais il faut faire ça dans la concertation, dans le respect, pour trouver les meilleures solutions. Surtout quand on a autant de coopérateurs. La concertation est permanente. Parce que quelque part, quand on est à la tête d'une entreprise comme celle-ci, la priorité numéro un, c'est l'intérêt général. Donc l'intérêt général, c’est effectivement trouver les meilleurs compromis tout en restant efficace. Il ne s'agit pas non plus d'être dans le renoncement permanent, mais ça veut dire qu'il faut faire preuve de pédagogie. Il faut revenir parfois sur certains sujets, et puis voilà il faut du temps aussi.


C'est pour ça que clairement on est sur des cycles longs dans nos métiers et peut être un peu plus avec cette forme de gouvernance.


Écoutez l’épisode entier sur notre podcast Raisin d’être. Et on se retrouve bientôt pour un nouvel article sur La Chablisienne et la jeune génération.

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